Sophie Duquesne
Texte d’ Olivier CLYNCKEMAILLIE
Mer, mère de mots et de signes pour vagues de l’âme sensibles…
Incandescence de la chaîne et de la trame entremêlées à l’envi. Résonnances sensibles. Mots de maux ou maux à mots, dos-à-dos, soufflants sous flots ? Chez Sophie Duquesne la vie de l’art et l’art de la vie s’imbriquent dans un langage aux relents binaires… pour mieux pourfendre l’illusion ! Balayer le futile. Shunter l’anecdote par trop stérile ou téléphonée. Au rythme de voyelles et de consonnes enlacées. Pétries de signes sémaphores.
Théâtre d’ombres chinées çà et là dans le fonds culturel de l’Humanité. Confrontations saillantes de balbutiements primaux avec une écriture automatique qui mettrait à mal un logiciel d’apparence infaillible ! Formes béantes et fermées. Ying et yang aux couleurs machinistes de mille aujourd’hui. Univers ouverts aux souffles de l’infini. Là où les arbres à parole sourdent de forêts séculaires pour répandre leurs sèves à la lie.
Sous une structure mathématique sans tics trop tocs, l’artiste mathémagicienne fait résonner son antre alchimiste de tâtonnements mettant à mal un logiciel qui ne l’attendait pas à ce tournant-là ! Peut-être – sûrement – est-ce l’amour des mots dans toutes les langues qui lui fournit de quoi transcender… Word® !
La lettre, le signe, la trace dans l’espace, y tiennent lieu de récurrence, quitte à dérégler un programme pour le mener de l’œuvre au noir au Grand Œuvre, en passant par l’œuvre au blanc en mettant l’outil informatique au ban de sa pseudo gloire.
Avec patience et passion, Sophie Duquesne répète, traque la série d’idiomes d’une langue qu’elle veut libre et faillible. Sans ces balises, la tentation de frivolité mènerait à un univers fadasse, sans sel ni sol, un miroir aux alouettes girouette d’un caméléon se repaissant de ses métamorphoses ! Au diable l’avarice pourvu que l’économie apparente de moyen mis en œuvre atteigne son but : élever l’âme au gré des gués des mots… Car il faut du courage et de l’abnégation pour franchir sans rire ce Rubicon aux eaux vengeresses !
C’est que le credo artistique de Sophie Duquesne se tatoue sans tabous de Liberté(s). Ses ailleurs s’avèrent murmures de murs mûrs. Palissades intimes sur lesquelles les graffitis de mille vies prennent leur envol. Sans lapalissades ni hermétisme pédant. Simplement par amour du Verbe, du signe, du sens profond de toute chose, de l’intégrité de toute forme d’être.
Rigueur du cadre, certes, mais en apparences trompeuses. La froideur fallacieuse d’une répétition sérielle se pare alors de bagues de bogues, amenant l’œil à perforer le cinétisme qui l’étourdissait. Puis vient la récompense ! Comme un message subliminal assumé.
Architecture d’une lettre, association de couleurs primaires baignant dans leur logo – ou logos – symbolique. Répétitions presque mécaniques quoique pleines d’humanités, d’humanismes même… S’il n’apparaît peut-être pas directement, le lien avec la fluidité, la minutie, la rigueur formelle des Primitifs flamands, en percole. Le tout mêlé du chant profond des enseignements de Mark Rothko, de Paul Klee, de Dan Flavin, de Sol Lewitt, de Bruno Munari... mais encore de plasticiennes d’aujourd’hui comme Ruth Loibl ou Pipilotti Rist.
Il y a dans les créations de Sophie Duquesne une joie non contenue, quoiqu’en retrait. Pudeur ? Certainement. Coquetterie d’artiste ? Absolument pas. Car Sophie Duquesne ne triche pas. Son humeur, son humour même, en ressortent grandis !
Mais point n’est besoin d’ornements factices, faciles. A l’image de sa créatrice, les ailleurs de Sophie opèrent leur magie en invitant au grand voyage intérieur et au dialogue avec ce que l’œil voit et ce qui lui sera révélé s’il prend toutefois le temps de l’apprivoisement. En effet, chaque œuvre procède de la stratégie – oserais-je plutôt parler de sagesse ? – du renard du Petit Prince…
Sophie Duquesne crée de nouveaux haïkus ou tankas visuels, unissant l’économie de moyens héritée des Asiatiques avec les bouillonnements technologiques d’un Occident qui avait oublié de rêver. Métrique précise, presque obsessionnelle. Diffractions lumineuses ennoblissant un graphe, un mot, un simple jambage, pour en faire une tapisserie dont l’aspect miniature confine pourtant au monumental. C’est que révéler l’âme même d’une matrice sensible relève à la fois de la maïeutique et de la cohésion formelle !
Dans les œuvres de Sophie Duquesne il y a transe… en danses. Car, si l’infiniment petit n’a pas en apparence le monopole du rêve, la plasticienne aime à tordre ses veines pour mieux le révéler. Son propos apprend à voir, à plonger dans une matrice à la physionomie cartésienne et hostile pour réapprendre le langage du cœur, celui qui ne connaît nulle limite, qui se rit allègrement de quelque carcan que ce soit. Les échos de la contemporanéité y rencontrent des signes essentiels exhumés de la nuit des temps.
Ainsi, dans « Elle / Aile », des relents de « claviformes » sortent de leurs gangues abstraites pour devenir jalons sensibles, colonnes vertébrales vertébrées, vecteurs d’infinis. Par ce biais – bief de tous les possibles – approche-t-elle lucidement les limites du songe, quand l’œuvre en devenir dans le cerveau s’émancipe et se partage. Et l’art pariétal des premiers hommes, décodé en profondeur par André Leroi-Gourhan, de trouver des échos emplis de vies contemporaines ! Tout est dans tout. La matière en magma dans le cortex de l’artiste a pris ses quartiers libres sur des abaques imaginaires refusant l’étiquette, la classification. Histoire de célébrer la Vie.
D’aucuns pourraient n’y voir que rigueur jouissive – quand l’onanisme plastique du prétentieux supplée un quelconque talent –, structure froide, répétition sans sentiments. Pourtant, à qui sait l’écouter, l’art de Sophie Duquesne révèle les premiers cris d’un cœur qui bat, se bat, frappe juste là où l’émotion naît.
Quand Sophie crée, elle procède à la fois comme peintre, informaticienne, sculptrice, poète, installatrice. Dans un de ses dessins, un ensemble de formes géométrisées s’emboîtent le long d’une ligne horizontale pour devenir la colonne vertébrale d’une Frida Kahlo trompant la mort. Chaque vertèbre se mue en oiseau libre, en alphabet universel.
Un peu à la manière d’un Jacques Prévert mêlant ses propres mots aux collages de ses milles vies sous la règle de l’inventaire. Humour, amour, sens du dérisoire s’y rencontrent pour un concentré d’existence(s). Parfois, c’est Arthur Rimbaud qui s’invite à sa table, lui rappelant les élégantes, fugaces et multiples silhouettes rechampies des voyelles, usant du spectre chromatique comme d’un carrousel aux images intimes, intériorisées mais à portée de mains. Procédant de ces principes, Sophie Duquesne dévoile toutes les facettes d’un « Œil cocu » où le vocable devient forme, assemblage, jeu de couleur(s). La trame s’anime, quitte son unicité apparente pour triompher de la banalité, un peu comme le soleil qui s’acharne – à chaque lever – à irradier le vivant de son théâtre d’ombres et de luminescences.
Il y a aussi beaucoup de minutie chez Sophie. Des « archi-textures » parlantes. Souvent tordues, jamais retorses ! Mais travaillées à l’envi par un lutin facétieux pétri de cultures. C’est un chant du monde, des mondes. Un océan. Une mer, mère de mots et de signes forts.
Ah, quelle joie sans nom que de percer, au fil du fil, de trams en trames – tout en faisant la navette entre le rêve et l’oubli –, de vagues de lames en âmes de vagues, les bonheurs de Sophie !
O. CLYNCKEMAILLIE
Contact
sophie.julia.duquesne@gmail.com